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Comment donner de l’avenir au passé ?

Caroline Draussin
Mars 2025

L’ouvrage Vieillir – Études cliniques[1] sous la direction d’Hervé Castanet, psychanalyste et professeur des universités, rassemble les textes présentés lors du colloque « Vieillir… de la ségrégation des personnes âgées à l’éthique du sujet[2] », organisé par le CPCT[3] Marseille-Aubagne. Le livre réunit seize textes orchestrés en six chapitres dont une ponctuation de Michel Grollier et une seconde de Jean-Daniel Matet qui scandent l’abord clinique. Hervé Castanet introduit l’ouvrage par une question sur le choix du titre, qui met en tension l’expérience du vieillir et le sujet de la psychanalyse qui n’a pas d’âge. Mais il ajoute la référence au tout dernier enseignement de Jacques Lacan avec l’invention de l’inconscient réel : le parlêtre, qui ouvre des perspectives cliniques inédites.

Chacun des textes met en exergue la clinique d’orientation lacanienne concernant la question du vieillissement. Cet ensemble forme un plaidoyer pour l’accueil de la singularité de chaque sujet, de celles et ceux qui font l’expérience dans leur corps de l’avancée en âge au regard de l’intemporalité de l’inconscient. De part en part, le contenu de l’ouvrage rappelle que la psychanalyse est avant tout une praxis dont la théorie s’élucide dans l’après-coup.
De l’introduction au dernier texte, ce livre réaffirme la nécessité de traiter le symptôme autrement qu’avec le discours de la médecine, particulièrement prégnant auprès des personnes âgées. Si le vieillissement est une série de faits objectivables et concrets, pourquoi et en quoi la psychanalyse est-elle opérationnelle ?
Vieillir est une expérience subjective et intime : en cela, quel que soit l’âge du sujet, la clinique psychanalytique est efficiente. La psychanalyse ne doit-elle pas, comme le précise Jacques Lacan, « se constituer comme science de l’inconscient […] structuré comme un langage[4] » ? À partir de l’inconscient freudien, Lacan invente l’inconscient réel : le parlêtre, impliquant au-delà de l’être, la langue et le corps.

En faisant appel à Claude Levi-Straus, Charlotte Herfray, Annie Ernaux ou encore Shakespeare, les auteurs rendent vivantes les notions centrales de la clinique lacanienne. Ce qui leur permet de mettre à jour leurs inventions cliniques si joliment énoncées : l’image déchirée, le cousinage de la mort, le dur désir de durer ou encore un futur inscrit dans le passé, etc.

Après l’affirmation de Françoise Dolto selon laquelle il faut parler aux bébés, nous pouvons proclamer qu’il faut écouter et entendre les vieux ! Le parlêtre est un apport particulièrement soutenant dans la clinique auprès des sujets âgés parce qu’il met en jeu le corps et sa percussion par lalangue qui fait émerger la jouissance, autres inventions et ré-inventions lacaniennes majeures. Hervé Castanet affirme que « la clinique analytique démontre effectivement que le sujet représenté dans l’ordre symbolique n’a pas d’âge mais en ajoutant le corps vivant, le corps parlant, le corps jouissant – la pulsion, le désir – d’autres perspectives s’ouvrent[5] ».

[1] Castanet H. (s/dir), Vieillir – Études cliniques, L’avenir dure longtemps, 2024.
[2] Colloque tenu le 3 décembre 2019 au Département des Bouches-du-Rhône (Marseille).
[3] Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 185.
[5] Castanet H. (s/dir), Vieillir, op. cit., p.17-18.