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Danser, une rencontre

Sandra Lavastre
Mars 2025

« Il y a quelque chose dont on est tout à fait surpris
 que ça ne serve pas plus le corps comme tel – c’est la danse.[1] »

Au sein du CERPAS en Haute-Loire, notre intérêt s’est porté sur la démarche du danseur Romual, intervenant en EHPAD. En quoi la danse a-t-elle fait rencontre pour lui dans son histoire et que lui a-t-elle apporté dans son travail auprès des personnes avancées en âge ? Parfois, en institution, le désir vient à manquer pour les personnes dites âgées et la danse peut permettre de relancer le désir de certains résidents.

Romual a rencontré la danse par hasard grâce à un voisin nigérien. Il en a rapidement fait son métier, même si, dit-il, en Afrique, danser, « ce n’était pas un métier », mais une façon de se construire. Il a trouvé dans la danse le « D », lettre manquante au prénom choisi par son père, signe de sa singularité. Ce métier de danseur a été très difficile à faire accepter à sa famille, notamment à son oncle qui l’avait élevé et qui finit par y consentir en le voyant danser dans une comédie musicale. Il décédera, deux mois plus tard, un choc pour Romual : « mon corps était là, mais je ne savais pas où était ma tête. »
À la suite, il révèle s’être « coupé » de ses affects, avoir refoulé cette douleur et s’être enfermé dans sa souffrance. Sa passion pour la danse a alors été pour lui d’un grand soutien.

Une des rencontres déterminantes pour lui a été la danse Krump, se définissant comme une représentation de la vie. Elle est non violente malgré ses apparences agressives, effectuée par des mouvements très rapides exprimant la rage. Romual témoigne de ses effets, cette danse canalise son agressivité, sa haine, sublimant ainsi cette violence intérieure.

L’idée de faire un spectacle Et si je dansais ? émerge, comme une lettre en langage chorégraphique adressée à son oncle afin de laisser une trace de son parcours de séparation, « comme un cycle qui s’achève ».
Pour nourrir son approche et son travail chorégraphique, il est allé à la rencontre de personnes âgées en institution, et des professionnels qui les accompagnent, afin de les entendre dans leurs difficultés avec leur corps vieillissant. Dans ses interventions, il leur a proposé « des choses simples » sans attente particulière. « Je ne cherche pas à les rendre danseurs » dit-il mais à vivre un moment de partage autour de la façon dont ils cheminent dans leur corps.

Plusieurs enseignements se dégagent de cette expérience.
Des personnes âgées manifestent leur étonnement de faire à nouveau certains mouvements qu’elles pensaient ne plus pouvoir réaliser, consentant à lâcher quelque chose de contraint dans le plaisir de l’instant. Le groupe a favorisé l’élan de chacun par la répétition des rencontres et le transfert avec Romual, ainsi que par la présence des soignants faisant le trait d’union.
Quand ils dansent, Romual souligne : « On peut voir leur personnalité dans le comment ils bougent leur corps, comment ils s’affirment, ils persistent. »
Ils se sont remémorés des souvenirs liés à la danse, « le temps des bals… ». Une transmission s’est opérée sur le temps de leur vie d’avant : une transmission des résidents aux soignants en passant par les familles, danse et musique contribuant à la rencontre du corps vivant et du désir.

L’offre de danser de Romual touche à l’intime dans la rencontre avec chacune des personnes qui y consent, en entraînant le corps par le mouvement du sien.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 154.